Rapport de la CRC sur les terrasses, ce qu'il faut retenir

Ce qu’on apprend du rapport Terrasses de la Chambre Régionale des Comptes

En 2023, nous avons demandé à la Chambre Régionale des Comptes d’Île-de-France d’étudier la gestion des terrasses par la Ville de Paris. Elle a répondu positivement à notre requête et a rendu son rapport en février dernier. Vous pouvez consulter les 64 pages du rapport sur ce lien.

Quelques chiffres en résumé :

  • + 60 % de superficie de terrasses à Paris en 4 ans !
  • 1027 terrasses illégales relevées par la Police Municipale en 2023, soit 10 096 m².
  • Seulement 8 retraits d’autorisation de terrasse en 2022-2023
  • La direction de l’urbanisme n’est informée que d’1 PV sur 4
  • 53 % des PV nuisances sonores émis par la Police municipale sont du fait des terrasses.
  • Seulement 30 à 50 % des signalements Dans Ma Rue terrasses sont traités par la Police municipale.

La CRC demande que le renouvellement tacite des autorisations de terrasses soit limité à 5 ans.

Elle explique que « Cela a pour effet que certains commerces ne se sont jamais mis en conformité avec les versions successives du règlement des terrasses et étalages (1990, 2011 puis 2021) » et ajoute « Cette absence de renouvellement expresse assorti d’une obligation de mise en conformité est susceptible de conduire à des situations de dérive persistantes : débordement, emprise illégale, inégalité de traitement entre commerçants selon la date, voire la vente, de facto, du droit de terrasse, puisque les baux commerciaux sont généralement vendus sur la base de leur chiffre d’affaires qui comprend les recettes issues des terrasses, etc. La Ville se prive ainsi d’un moyen d’action effectif que constitue le non-renouvellement de l’autorisation accordée. »

Il y a fort à parier que les syndicats bistrotiers s’opposent fermement à cette mesure. En effet, depuis 2011, beaucoup de leurs adhérents disposent de terrasses devenues illicites et pourtant toujours exploitées.

Face à l’inefficacité des amendes, la CRC propose la création par le législateur d’astreintes journalières pour mise en conformité, à l’instar de ce qui est prévu par la réglementation des enseignes.

Elle écrit « Selon les services en charge du contrôle, les exploitants se targuent de combler le montant de la ou des contraventions reçues en quelques couverts, particulièrement dans les arrondissements où le prix de la restauration est élevé ». Ainsi un restaurant dans le 8ème a été verbalisé 80 fois en 2 ans entre 2021 et 2023…

La proposition de la CRC va dans le sens des propositions du Collectif Droit au Sommeil Paris. Si les astreintes peuvent fonctionner pour les terrasses fermées, elles sont plus difficilement applicables pour les terrasses ouvertes, sauf à considérer qu’entre 2 infractions, une astreinte journalière doit être payée.

Pour les terrasses ouvertes, le Collectif Droit au Sommeil Paris propose des redevances journalières pour situation illicite, sur le modèle de la Ville de Nantes et des redevances pour chauffages illicites :

  • 150 € / jour par mobilier (chaise, table, chevalet) ou m² dépassant de l’emprise.
  • 750 € / jour pour tout mobilier illicite (banc) ou m² de terrasse illégale.

Comme souvent, la Ville de Paris s’exonère de trouver des solutions par un « c’est pas moi, c’est l’Etat » et indique à la CRC « qu’elle soutiendra toute évolution législative en faveur de la création d’un régime d’astreintes administratives journalières applicables aux occupations irrégulières du domaine public. » alors même qu’elle est en capacité de créer des redevances journalières qui feraient office d’astreinte, comme le fait déjà la Ville de Nantes ou comme elle le fait pour les chauffages ou les bâches illicites.

Rappel : une bâche illicite à Paris est taxée d’une redevance entre 93.32 € et 1611.90 € / an et un chauffage entre 31.10 € et 1611.90 € / an.

10 000 m² de terrasses illicites constatées par la PM en 2023 !

Comment ne pas considérer que la fraude est massive quand la Police Municipale relève 10 000 m² de terrasses irrégulières en 2023, soit une progression de + 47 % vs. 2022 ?

Ces chiffres vont dans le sens de nos recommandations de surtaxer les m² illicites. Imaginons qu’1 m² illicite soit taxé 150 € / m² / jour alors qu’actuellement, il n’y a pas de surtaxe et que le m² illégal n’est taxé que 127 € / m² / an !

A noter que les 2.2 M€ de recettes pour occupation irrégulière correspondent à la masse salariale des agents chargés d’instruire les autorisations de terrasses (2 M€).

Près de 3 000 PV de terrasses illicites en 2022 !

La fraude est massive ! 2022 a totalisé 699 PV pour occupation irrégulière (autorisation de terrasse refusée) et 2285 pour occupation sans titre (terrasse sans demande d’autorisation). Selon le tableau ci-dessus, cela a concerné 858 dispositifs. Chaque dispositif a donc été verbalisé 3.5 fois en moyenne.
Si on surtaxait les dispositifs illicite 127 € / m² / jour au lieu de 127 € / m² / an, on augmenterait les redevances de 3.2 M€, l’équivalent de 1,5 fois la masse salariale des inspecteurs de la rue.

CHIFFRES de janvier à octobre 2023 :

  • 1027 dispositifs irréguliers relevés par la PM avec une moyenne de 2.4 PV par dispositif irrégulier.
  • Total des sanctions : 1 659 897 € soit 1616 € / dispositif de 10 m².
    • 2489 PV pour occupation irrégulière ou sans titre de 4ème classe (135 €) => 336 015 €.
    • 13 arrêtés d’amende (500 €) => 6 500 € : 1,3 chance sur 100 de payer une amende de 500 €
    • 20 PV de 5ème classe (1500 €, amende pénale prononcée par un juge à l’issue d’une procédure contradictoire et mise en demeure) pour occupation sans titre du domaine public routier (art. R. 1161-2 du code de voirie routière) => 30 000 €
      2 % de chance de se voir appliquer une amende de 1500 €.
    • 1 287 382 € de redevances pour 10 096 m².

La Mairie ne sait pas qui paie ses droits de voirie !

Selon la CRC, « les taux de recouvrement des droits de voirie et des amendes dressées par la police municipale ne sont pas, ou mal, connus de la Ville. »

Cela recoupe nos constats : malgré l’avis favorable de la CADA, la Ville a été incapable de nous fournir des copies des factures de redevances. Nous supposons que les terrasses non répertoriées dans l’Open Data ne paient aucune redevance, générant des économies de dizaines de milliers d’euros pour les bistrotiers.

La direction de l’urbanisme n’a connaissance que d’1 PV terrasse sur 4 !

On s’étonne souvent d’apprendre qu’après une vingtaine de PV, une autorisation de terrasse perdure.

La CRC nous donne l’explication : les policiers municipaux doivent renseigner leurs PV 2 fois : la 1ère dans l’application nationale de codage des PV, la 2ème dans le logiciel de gestion des terrasses de la direction de l’urbanisme « Eudonet ». Le problème, c’est qu’ils ne le font qu’1 fois sur 4 !
La CRC écrit « l’onglet « contrôle » du logiciel Eudonet n’a été renseigné que pour 25,7 % des PV dressés par la DPMP en 2022 et pour 22,2 % des cas sur les 10 premiers mois de 2023. Les remontées des contrôles réalisés par la DPMP auprès du SPCR sont donc parcellaires. »

Et elle ne sait pas si un établissement a payé ses PV !

Un peu d’espoir :

La Ville compte sur l’intelligence artificielle pour pallier son manque d’effectif en matière de contrôle et identifier par le ciel les emprises de terrasses illégales. Malheureusement, aucune date n’est annoncée pour l’exécution de ce projet.

Oui à l’intégration des riverains dans les Comités de Régulation des Débits de Boissons !

La CRC recommande « un temps consacré à un diagnostic général de la situation qui permettrait aux riverains constitués en collectif ou associations d’apporter leur point de vue et un temps réservé à l’examen des cas individuels, auquel ils ne seraient pas conviés. » On sait que de nombreux cas ne sont pas traités lors des CRDB, ce serait l’occasion pour les riverains de s’assurer que leur cas n’est pas oublié.

Cependant, Ariel Weil a déclaré dans la presse que « si les habitants étaient conviés, les syndicats ne viendraient plus ». Cette attitude des syndicats bistrotiers serait déplorable, mais en tant que tel, quelle est leur valeur ajoutée dans les CRDB, si ce n’est défendre leurs syndiqués et négocier avec les autorités pour empêcher les fermetures administratives ? Comment penser que l’action des syndicats vis-à-vis de leurs adhérents serait plus efficace que celle de la Police pour faire rentrer les contrevenants dans le droit chemin ?
On ne sait rien de l’utilité des syndicats dans les CRDB, tant ces réunions manquent de transparence.

La CRC nous donne raison : le Conseil de la Nuit est inefficace pour réguler la tranquillité nocturne !

Elle écrit : « Compte-tenu de ses objectifs -qui incluent la promotion de la vie nocturne, la transition écologique, les violences sexuelles et sexistes, la soumission chimique, les Jeux Olympiques et Paralympiques- et du caractère très large de ses travaux, son efficacité en termes de régulation des nuisances liées aux terrasses pour les riverains apparaît limitée. »

La Ville se trompe toujours d’indicateurs de performance 

La CRC écrit : « La Ville estime, au vu de la nette augmentation du nombre de PV dressés par la police municipale pour nuisance sonore ces dernières années, que la lutte contre le bruit provenant des terrasses progresse de manière satisfaisante, ce que contestent les associations de riverains rencontrées. »

Pourtant le nombre de plaintes DMR ne cesse d’augmenter. Comment s’en satisfaire ?

Les indicateurs de performance qui valent, ce sont le nombre de signalements et la satisfaction du traitement du signalement par l’usager (qui peut avoir tendance à arrêter les signalements par dépit).
En cette année olympique où de nombreux Parisiens ont déserté la Ville et où la météo a été pluvieuse, la hausse des signalements montre que la situation ne fait qu’empirer.

Par ailleurs, on regrette qu’il n’y ait aucun recoupement avec les signalements auprès de la Police Nationale, dont on sait que le nombre de signalements pour bruit ne cesse de croître, d’autant plus que le 3975 invite souvent les plaignants à les contacter.

Le sentiment que les signalements DMR ne servent à rien enfin expliqué !

La CRC nous éclaire : « Les responsables de circonscriptions de la police municipale indiquent de leur côté ne pas avoir les moyens humains de se déplacer face au nombre de plaintes déposées. Ils précisent se rendre sur place dans une fourchette de 30 % à 50 % des signalements déposés sur l’application « Dans ma rue », selon le degré de priorité que chaque circonscription accorde aux nuisances liées aux terrasses. »

53 % des PV pour nuisances sonores liés à une terrasse !

La CRC indique que 1842 PV pour nuisances sonores liées à une terrasse ont été émis en 2022. L’Open Data des verbalisations de la PM indique que 3668 PV pour nuisances sonores ont été émis en 2022. Ce sont donc 50 % des PV nuisances sonores qui étaient issus des terrasses en 2022.

Ce chiffre progressait en 2023. Pour janvier à octobre 2023 : 1392 PV nuisances sonores liés à une terrasse sur 2600 PV pour nuisances sonores, soit 53 % des PV pour nuisances sonores.

Pourtant, le Comité de Pilotage du Plan Bruit de novembre 2024 indique que 70 % des appels au 3975 pour nuisances sonores concernent le bruit dans l’espace public et 30 % le bruit des terrasses.

Seulement 8 retraits d’autorisation de terrasse depuis 2021 et des demandes de fermetures administratives quasi inexistantes !

« La DPMP a indiqué avoir parfois demandé à la préfecture de police de procéder à la fermeture administrative d’un établissement en raison de nuisances sonores répétées ou d’empiètement sur le domaine public. Cette dernière donne rarement suite à ces demandes et le nombre de cas où cela s’est présenté n’a pas pu être précisé. »

La mairie a le souci de ne pas bouleverser l’équilibre économique des commerçants ! Mais uniquement des bistrotiers ! Et au mépris des PMR !

La CRC décrit les manquements de la Mairie en ces termes : « Il fait échec à la mise en oeuvre de l’article DG.8 du RET qui dispose que « les autorisations non conformes au présent règlement mais préalablement autorisées, pourront être reconduites à la condition d’être mises en conformité. » La Ville ne respecte pas les règles qu’elle a elle-même édictées, ce que relevait déjà le rapport d’audit de l’IGVP sur l’instruction des demandes de terrasses de 2016. Le SPCPR interprète mal cet article, considérant qu’il ne s’applique qu’à l’occasion d’un changement d’exploitant.

L’ordonnateur justifie cette non application de l’article DG.8 du RET par le « souci de ne pas bouleverser les équilibres économiques des commerçants et d’assurer une gestion équilibrée du domaine public municipal. »

Alors même que le développement de 60 % de la surface des terrasses entre 2020 et 2023 a bouleversé les équilibres économiques dans de nombreux quartiers terrassisés, on comprend que la priorité est donnée aux bistrotiers et pas aux autres commerçants !

Les PMR seront ravis d’apprendre qu’ils n’ont pas droit à 1.60 m de passage entre la terrasse et le feu pour ne pas bouleverser l’équilibre économique de la famille Costes !