Droit au Sommeil fait le point avec Fanny Mietlicki, directrice de BruitParif*. La Mairie de Paris Centre, sollicitée, n’a pas répondu à nos questions.
Il y a un an, BruitParif a publié une étude sur le secteur Montorgueil. Qu’avait-elle d’innovant ? Quels ont été les principaux enseignements ?
Fanny Mietlicki : C’était la première fois qu’on réalisait une cartographie du bruit liée à la vie récréative à l’échelle de tout un quartier. Il existe des cartes du bruit pour d’autres domaines, pour le bruit routier, ferroviaire ou aérien, mais personne en France n’avait encore produit de carte de l’impact sonore de la vie récréative.
Cette cartographie du bruit a été réalisée à l’aide de modélisations et de campagnes de mesures. Nous nous sommes aussi appuyés sur les points de mesures que nous suivons déjà depuis plusieurs années dans ce quartier. On connaissait le problème du bruit sur certains sites festifs isolés, mais il a été possible avec ce diagnostic de montrer l’ampleur que cela représente à l’échelle de tout un quartier, et d’arriver à évaluer la quantité de personnes exposées à de forts niveaux de bruit, qu’il s’agisse du bruit routier ou du bruit produit par la vie récréative. Nous avons même l’impact cumulé du bruit routier et du bruit récréatif sur les populations.
Notre étude montre qu’une part importante des personnes du quartier sont exposées à un niveau de bruit néfaste en soirée et la nuit, et que la cause de cette exposition est davantage le bruit produit par les zones récréatives que par celui des circulations routières.
Sur ce quartier, si on ne considère que le bruit routier et en se référant à la valeur cible intermédiaire de l’OMS de ne pas dépasser 55 dB(A) de nuit pour protéger le sommeil, c’est de l’ordre de 21% de la population qui est exposée de manière chronique à des niveaux de bruit nocifs. Si on rajoute les expositions aux bruits récréatifs, on passe à 52% de la population, ce qui devient très significatif.
L’étude montre que les niveaux de bruit produits par la vie récréative sont dans certaines rues équivalents voire supérieurs à celui de grands axes routiers. Par exemple dans la rue des Lombards, qui est un endroit très soumis au bruit de la vie récréative et cela depuis plusieurs années, les niveaux de bruit moyens sur la période de soirée et début de nuit 18h00-02h00 atteignent quasiment 75 décibels.
Ce sont des niveaux de bruit qui sont du même ordre de grandeur ou qui dépassent ce qu’on peut avoir sur un sur un axe fortement circulé comme le boulevard Poissonnière par exemple.
Dans ce quartier également, la rue de la Ferronnerie, la rue Montorgueil, ou encore la rue de la Grande Truanderie présentent des niveaux moyens de bruit en soirée et nuit de l’ordre de 70 décibels. Ce sont des niveaux de bruit équivalents à ce qu’on rencontre en général dans les sites très exposés au bruit routier. Même si ces conclusions ne sont pas directement généralisables à tout Paris, c’est un résultat important pour la prise de conscience des autorités et des élus, mais également de la population.
Pour les acteurs politiques, cela met en lumière toute l’importance qu’il faut accorder au bruit récréatif qui est jusqu’à présent relativement mal pris en compte dans les politiques publiques. Cette étude donne à petite échelle un aperçu de l’enjeu que représente l’exposition au bruit des activités récréatives en soirée et en nuit.
C’est un bruit qui peut perturber le sommeil dont on sait qu’il est essentiel pour le maintien du niveau de santé. L’étude apporte une information riche en matière de santé publique, avec un nouvel enjeu bruit à prendre en compte.
Pour la population, cela permet d’objectiver les situations problématiques et d’alerter sur les risques associés. Certaines personnes sont gênées mais n’ont pas forcément conscience des impacts que le bruit peut avoir sur leur santé, en particulier du fait des perturbations du sommeil. Cette sensibilisation sur les questions du bruit est nécessaire, chacun pouvant contribuer à améliorer la situation.
Savez-vous si des suites ont été données à cette étude, ou vont être données ?
Fanny Mietlicki : L’étude a été restituée à la mairie de Paris Centre, au Conseil de quartier, ainsi qu’au Conseil de la Nuit de Paris. Je ne connais pas précisément les intentions de la mairie de Paris Centre ou de la Ville de Paris en lien avec ces résultats. BruitParif a fait part à la mairie de Paris Centre de la possibilité de déployer des points de mesure supplémentaires.
Il serait par exemple possible et intéressant d’instrumenter la rue Montorgueil et la rue de la Grande Truanderie qui ressortaient dans l’étude comme étant les sites les plus bruyants après la rue des Lombards et la Ferronnerie.
L’instrumentation de ces sites déjà documentés entrerait parfaitement dans le cadre de notre partenariat avec la ville de Paris. Pour ces nouvelles implantations, nous sommes cependant confrontés à des difficultés logistiques, parce que le capteur doit être généralement raccordé et positionné sur un candélabre. Or, sur la rue Montorgueil par exemple, l’absence de candélabre est un problème. Un capteur peut également être positionné en façade d’un riverain volontaire, mais il est souvent difficile pour un riverain d’accueillir une station de mesure. Ces difficultés peuvent retarder pour partie le déploiement de capteurs dans certaines rues. Et c’est souvent le cas dans les rues piétonnes qui n’ont pas beaucoup de candélabres.
Savez-vous s’il y a d’autres projets ou initiatives actuellement ?
Fanny Mietlicki : Il y a des initiatives dans certains quartiers, comme celles du quartier Porte Saint-Denis – Paradis dans le 10e arrondissement. Avec le budget participatif de la région Ile-de-France, ce quartier a obtenu le financement d’un capteur sonore de type Méduse. Il y aura également la réalisation d’une étude de l’environnement sonore du quartier grâce au budget participatif de Paris.
On devrait avoir un volet bruit récréatif et un volet bruit routier.
À BruitParif, nous essayons aussi de mettre plus de forces vives sur ces sujets. Par exemple, avec l’Université Gustave Eiffel, nous avons répondu à un appel à projet de l’ANR, l’Agence Nationale de la Recherche.
Avec le projet NOCTAMBRUIT, nous proposons de travailler sur une cartographie du bruit de la vie récréative associée à une évaluation des conséquences sanitaires. Il s’agirait de la toute première étude épidémiologique sur ce sujet,
comprenant un volet physique avec une instrumentation des participants permettant de mesurer simultanément le bruit auquel ils sont exposés et la qualité de leur sommeil, et un volet statistique plus large avec des enquêtes auprès de la population. L’université Gustave Eiffel réalisera la partie enquête auprès de la population, le centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel-Dieu réalisera avec BruitParif le recueil des paramètres mettant en relation la qualité du sommeil et les indicateurs de bruit. NOCTAMBRUIT permettrait d’apporter des premiers éléments de connaissance sur la manière dont le bruit récréatif gêne les populations et perturbe leur sommeil. Cela permettrait également de comparer les effets des expositions aux bruit routier et bruit récréatif, sachant que ce ne sont pas les mêmes plages de fréquences de bruit qui sont mobilisées, ni les mêmes dynamiques de bruit. Nous faisons face à de vraies interrogations scientifiques sur ces sujets qu’il importe de lever.
Autre exemple : le projet SOMNIBRUIT, porté par Bruitparif, l’Observatoire Régional de Santé (ORS) d’Ile de France et le Centre du Sommeil et de la Vigilance de l’Hôtel Dieu et associant la Ville de Paris.
Ce projet, lauréat de l’appel à projets du Green Data for Health (GD4H) et du Health Data Hub (HDH), a pour objectif de mieux connaître et quantifier les effets du bruit environnemental sur le sommeil en réalisant une étude écologique sur la zone dense francilienne qui rassemble 10 millions de Franciliens. Pour cela, les données de consommation de médicaments prescrits pour les troubles du sommeil seront mises en relation, pour chacune des 435 communes de la zone dense Francilienne et des 20 arrondissements parisiens, avec les données des statistiques d’exposition au bruit nocturne généré par les transports mais aussi en essayant de tenir compte des activités récréatives. S’agissant du bruit récréatif, cette étude ne pourra pas s’appuyer sur une carte de bruit comme on a pu le faire sur le quartier Montorgueil, mais on utilisera un proxy, c’est à dire un indicateur intermédiaire. Cela pourrait être par exemple la densité d’établissements festifs dans les zones habitées. Actuellement en phase de recueil de données, cette étude va durer 18 mois. Nous avons prévu de nous y consacrer toute l’année 2024 et la restitution des résultats aura lieu au premier trimestre 2025. Nous venons de finaliser les estimations de l’exposition au bruit des transports à l’échelle des communes d’Ile-de-France (voir le Francilophone n°44), et nous allons à présent travailler sur l’estimation des niveaux d’exposition au bruit récréatif. De son côté, l’Observatoire Régional de Santé cible les marqueurs des troubles du sommeil, en s’appuyant sur l’expertise de l’équipe du Professeur Damien Léger du centre du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel Dieu.
Dernière question : quelles évolutions voyez-vous aujourd’hui dans la prise de conscience des enjeux sanitaires du bruit dans l’environnement ?
Fanny Mietlicki : Il y a une vraie progression de la prise de conscience depuis la crise sanitaire. Dans le même temps, nous avons des connaissances qui s’accumulent sur les enjeux sanitaires du bruit, avec les rapports de l’Organisation Mondiale de la Santé, mais aussi des scientifiques qui viennent interpeller les pouvoirs publics sur ces questions. La Commission Européenne aussi met la pression pour que la Directive Européenne sur le Bruit soit pleinement mise en œuvre. Tout cela fait que les pouvoirs publics commencent à être sensibilisés et à prendre davantage l’environnement sonore en considération dans leurs politiques.
Nous constatons ainsi que c’est un sujet qui prend de l’importance dans les collectivités, même s’il ne se traduit pas encore complètement dans les aspects budgétaires. Les montants consacrés à la lutte contre le bruit restent en effet marginaux par rapport aux montants mobilisés dans la lutte contre la pollution atmosphérique ou contre le réchauffement climatique, mais c’est un sujet qui interpelle de plus en plus.
À Paris par exemple, certaines mairies d’arrondissement mettent en place des Comités Locaux de Lutte contre le Bruit. Ce sont des instances de résolution des problèmes de bruit qui associent les parties prenantes, représentants des riverains, services de la ville, acteurs générateurs de bruit et experts comme Bruitparif. La mairie du 17e arrondissement de Paris a été la première à s’être dotée d’un tel comité, suivie il y a quelques jours par la mairie du 9e arrondissement. Et d’autres mairies réfléchissent à faire de même. Paris dispose également d’un Plan d’Amélioration de l’Environnement Sonore, adopté en 2022, qui pour la première fois va au-delà des bruits des transports en consacrant un volet entier aux bruits de voisinage et tout particulièrement aux bruits récréatifs. La régulation du bruit récréatif est complexe, peut-être plus difficile à conduire que la lutte contre le bruit des transports.